Histoire

« L’Alliance Écossaise a toujours eu un esprit de fraternité, d’amitié et de bonne harmonie. Elle n’a jamais formé un club. Toutes les idées y ont été largement admises. Elle continuera, comme par le passé, à suivre la tradition de ses aînés. » Alexandre Romanet, le 10 mars 1908, à l’occasion des 40 ans de L’Alliance Écossaise, parlait ainsi de la loge dont il allait être le Vénérable Maître pendant 33 ans. Des paroles toujours d’actualité…

Dans les lignes qui suivent, L’Alliance Ecossaise vous est révélé à travers anecdotes et histoires qui font l’Histoire. Depuis sa fondation en 1869 jusqu’à nos jours, vous voyagerez à la rencontre de nos Frères, vous y découvrirez la maçonnerie française et iséroise, et celle que vit L’Alliance dans son engagement dans la cité et dans son éternelle quête humaniste.

La Mère du Monde

Nous sommes en 1717. Le Roi Soleil s’est éteint. John Law crée la Banque Générale qui émet les premiers billets (le premier crash boursier surviendra trois ans plus tard). Les cafés se propagent et sont les hauts lieux du dialogue. Marivaux écrit La double inconstance… En Grande-Bretagne, George, premier du nom, est roi. Il vient de Hanovre, où il réside trop souvent au goût de son peuple. Il ne parle d’ailleurs pas anglais. A Londres, les loges maçonniques sont principalement opératives mais elles reçoivent déjà les notables et les bienfaiteurs étrangers au métier, intellectuels ou humanistes. Elles sont les héritières de la tradition médiévale des corporations, guildes et autres confréries.

Le 24 juin, toutes les Loges de Londres se fédèrent et invitent tous les ateliers du royaume à se grouper sous la protection des Hanovre. La Grande Loge dite de Westminster, La Mère du Monde , est constituée. La franc-maçonnerie spéculative allume ses premiers feux. Pendant quarante ans, La Mère du Monde – quel nom prédestiné ! – enfantera et essaimera largement, en Grande Bretagne, bien sûr, mais aussi en Europe : Espagne en 1728, Italie en 1734, Portugal en 1735, France en 1736…

Dès 1738, la Grande Loge de France, émanation de la Grande Loge d’Angleterre, se dégage de la tutelle britannique et prend définitivement son indépendance Cependant, la structure de la franc-maçonnerie française demeure lâche et assez inefficace. A côté de la Grande Loge, regroupant essentiellement des Maîtres des loges parisiennes qui travaillent au Rite Français, des “mères-loges” légifèrent en province, se réclamant d’un écossisme plus ou moins diffus, voire de l’illuminisme. Ces Mères-Loges ont une autonomie totale et, à plusieurs reprises, elles s’opposeront à la Grande Loge de France. Ce n’est qu’en 1771, après bien des difficultés, qu’apparaît la Grande Loge Nationale Française, véritable assemblée constituante issue de tous ces groupuscules rivaux, qui siégera pendant trois années avec volonté et mission de réunifier « ce qui (déjà !) était épars ».

De ces efforts naît, en 1774, le Grand Orient de France, autorité centrale maçonnique, émanation tant de Paris que des provinces, pouvoir législateur et exécutif de l’ordre maçonnique français. Quinze ans plus tard, en 1788, la Respectable Loge Triple Union et Amitié allume ses feux à Voiron, sous les auspices du Grand Orient de France.

Les Arts Réunis

1824… Louis XVIII meurt. Charles X lui succède. La France vit alors les dernières années de la Restauration dans une atmosphère chaotique dominée par la lutte entre les principes de l’Ancien Régime et ceux de la Révolution. La Respectable Loge Les Arts Réunis allume ses feux à Grenoble.

En 1830, les Trois Glorieuses font chuter Charles X. La bourgeoisie libérale favorise alors un régime de monarchie constitutionnelle et porte Louis-Philippe 1er au pouvoir. Ce nouveau régime ne répond ni aux besoins du peuple ni à ceux de l’époque. Confronté à de multiples oppositions, il se raidit dans le maintien de l’ordre et le refus de toute réforme.

La révolution de 1848 permet l’avènement d’une IIe République dont le fonctionnement est censé s’articuler autant sur la liberté que sur l’autorité. La présidence de la République en est la clef de voûte. Aux élections, les Républicains, majoritaires, se divisent. Les Modérés, réunis autour de Cavaignac, sont défaits par le parti de l’Ordre, rassemblé autour de Louis Napoléon Bonaparte qui est élu président. Dans la foulée, son parti emporte les législatives. Louis Napoléon, homme supposé falot et manipulable, se révèle en fait un fin politicien. Devant l’impossibilité constitutionnelle d’obtenir un nouveau mandat présidentiel de quatre ans, il instaure rapidement le Second Empire et prend le nom de Napoléon III. Un Empire autoritaire qui bientôt poursuivra et condamnera Baudelaire et Flaubert pour outrage à la moralité publique et irréligion…

1852… L’Empire s’installe. Le prince Murat est le nouveau Grand Maître du Grand Orient de France. L’ambiance, à Grenoble, n’est guère favorable à la Franc-Maçonnerie. En tout cas aux Arts Réunis, s’il faut en croire le préfet Bérard qui avertit en ces mots le pouvoir : « L’esprit s’y ressent encore de l’exaltation révolutionnaire et n’est certes pas favorable au gouvernement ». L’année suivante, le Vénérable Maître Hippolyte Bouvier dénonce la politique menée par le prince Murat comme contraire aux principes de l’Ordre. Il brise le glaive flamboyant, en jette les morceaux dans le Temple et met la loge en sommeil.

1863… Le régime a mis beaucoup d’eau dans son vin et le Grand Maître a été remplacé. Hippolyte Bouvier rallume les feux des Arts Réunis. La loge retrouve peu à peu son importance, tant et si bien qu’en 1867, elle comptera quatre-vingt six membres. Le Vénérable Maître Bouvier ?… Il est entrepreneur de charpente. Jean Thomas Vendre ?… Avocat et maire de Grenoble. Félix Poulat ?… Egalement avocat ; il sera aussi, plus tard et très brièvement, maire de Grenoble. Le négociant Edouard Rey, le docteur Auguste Gachet ?… Voilà encore deux maires de Grenoble. Le Comte Lombard de Buffières et Albin Giraud ?… Maires, mais à Dolomieu et à Pontcharra. Napoléon Maisonville ?… Il est imprimeur du journal libéral L’impartial Dauphinois. Edouard Allier ?… Un autre imprimeur prospère, fils et petit-fils de franc-maçon.

Ces Frères sont pour la plupart des notables connus, appartenant à la bonne bourgeoisie, plutôt favorables au pouvoir établi. Les capitations sont élevées… Pour cette raison et bien qu’habitant Grenoble, plusieurs Frères des Arts ne reprennent pas les travaux et décident de rejoindre l’Orient de Chambéry et la Respectable Loge L’Espérance Savoisienne.

L’Alliance Écossaise

1869… Le baron Haussmann embellit la capitale. Jacques Offenbach se produit aux Bouffes, le percement du canal de Suez est un succès. Et pourtant l’atmosphère est tendue. Ces dernières années, Napoléon III a fait concessions sur concessions aux opposants du régime. Les élections législatives de 1869 ont été préparées avec beaucoup de soin par le gouvernement comme par l’opposition républicaine, divisée entre “modérés” et “irréconciliables”. En mai, les Républicains triomphent. Coincé entre l’extrême gauche des “irréconciliables” et l’extrême-droite bonapartiste, Napoléon III se trouve dans l’obligation d’appliquer le programme du centre. Politiquement, la nouvelle constitution rééquilibre les pouvoirs au profit du Parlement. Socialement, la gauche s’affirme dans une grande industrie en expansion qui voit l’émergence du prolétariat s’accélérer.

Cet été-là, des grèves éclatent à Paris et en province. Amélioration des conditions de travail, suppression des taches dégradantes, droit de gérer les caisses de secours et de retraite… C’est une volonté d’autonomie et de dignité, une détermination d’imposer le respect au patron, qui animent le peuple de France. Ce mouvement, qui sera violemment réprimé, est aussi prémonitoire des semaines sanglantes de la Commune de Paris et des déportations qui suivront.

Aux Arts Réunis , malgré l’évolution des attitudes sociales, un certain conservatisme s’est instauré. Une opposition de génération chemine. Certains agissent et pensent en fonction d’une sensibilité différente. Leurs critiques portent entre autres sur le symbolisme, devenu trop envahissant. Malgré tout, les Frères d’alors sont très actifs et engagés dans la cité. Être Maçon à l’époque, c’est agir, témoigner. Devant un tel engagement, à une telle époque, il était inévitable que surgissent des problèmes de personnes, comme entre le bonapartiste Vendre et le républicain Rey. Des capitations excessives qui écartent « tous les Maçons modestes » et des « susceptibilités respectables » constitueront le prétexte officiel du départ d’Armand Rey.

« Je m’appelle Armand Rey. Je suis franc-maçon aux Arts Réunis.

Je suis né le 21 juin 1821 à Grenoble. J’ai été initié en 1847. J’ai d’abord vécu la vie d’agriculteur. Puis je suis monté à Paris pour y faire mes études en médecine. J’y ai été député pour les Arts Réunis auprès du Grand Orient de France. De retour à Grenoble, je me suis installé comme médecin et j’ai crée l’Association des médecins et pharmaciens du département de l’Isère. On m’a décrit comme une nature robuste, sanguine, imprégnée d’une bonne humeur toute gauloise, qui va à son but sans ménagement et avec une franchise parfois un peu rude, sans souci des gestes lénifiants, inaccessible aux sentiments édulcorés. Je suis passionné par mes idées, tout à l’action. Je possède à la fois une intransigeance presque chatouilleuse et une très large et très humaine indulgence. J’ai pu rencontrer des opposants, mais je n’ai jamais connu d’ennemis.

Je vis dans le château familial, à Bouqueron. A la Révolution, ce château a été déclaré bien national et mes ancêtres l’ont acquis. Ma vie ? Elle a suivi trois voies…

– J’ai mené de front occupations rurales et l’étude de la gynécologie et des maladies nerveuses. En 1853, j’ai ouvert les Bains dits de Bouqueron.

– J’ai été maire ou conseiller municipal de Corenc pendant vingt ans. J’ai fait de l’eau ma passion. L’eau, qui répand partout la vie, le bien-être, l’hygiène. Elle est plus qu’un médicament externe : elle est le grand moteur de la civilisation. Je l’ai donc fait capter dans la Vence et distribuer sur Corenc et la Tronche. J’ai ainsi fait la fortune de ces deux communes.

– Et puis, j’ai consacré ma vie à la médecine et aux médecins, dont je rêve d’améliorer le sort. J’ai travaillé entre autres à l’établissement des concours comme moyen de recrutement, à la mise en place d’une caisse de retraite spécifique, aux problèmes de prévoyance et d’assistance… J’ai aussi été professeur à l’école de médecine et de pharmacie.

De cet engagement j’ai été largement récompensé. Dans la vie, “à défaut des jouissances que procurent les richesses, il existe des joies plus pures qui viennent du témoignage de notre conscience satisfaite par le sentiment du devoir accompli”. »

Armand Rey fait sécession. Il retrouve onze de ses Frères partis à L’Espérance Savoisienne. Ensemble, ils veulent travailler au Rite écossais ancien et accepté et choisissent donc comme nom L’Alliance Ecossaise.

Qui sont les Frères fondateurs de L’Alliance ? Dans l’ordre d’inscription sur le registre matricule de l’Atelier… Armand Rey, 48 ans, docteur en médecine. Fossorier, 40 ans, commis négociant ; Prosper Stratte, 32 ans, entrepreneur ; Paul Renavant, 26 ans, conducteur des Ponts et Chaussée ; Marigue, 39 ans, comptable ; Casimir Jatre, 39 ans, maître serrurier ; Alphonse Audan, 35 ans, négociant ; Joseph Félix Clet, 32 ans, entrepreneur ; Jules Roguin, 37 ans, mécanicien sur le Paris – Lyon – Marseille ; Benoit Cléchet, 50 ans, entrepreneur ; Jean Delminique, 42 ans, tuilier ; André Vigier, 53 ans, Maréchal ; Louis Joseph Robert, 39 ans, maître charpentier ; Chaudin, 39 ans, gantier ; Hippolytte Bouvat, 37 ans, rentier.

Les démarches entreprises aboutissent le 5 mai 5869 avec la constitution officielle, par le Suprême Conseil de France, de la Respectable Loge St Jean d’Ecosse n° 206, L’Alliance Ecossaise. La loge travaillera sous les auspices du Suprême Conseil de France, puis à partir de 1895 sous ceux de la Grande Loge Écossaise de France, et un an plus tard sous ceux de la Grande Loge de France. L’allumage des feux a lieu en grande pompe, le 11 juillet 1869. Les tenues se tiendront d’abord dans la maison Rey-Giraud, Porte de France, à St-Martin-le-Vinoux, puis au Temple, sis 9, rue Napoléon, aujourd’hui rue de Strasbourg. Le premier Vénérable Maître est, bien sûr, Armand Rey.

Républicains

1870… La défaite face à l’Allemagne et la perte de l’Alsace-Lorraine est une catastrophe nationale. Face au vide créé, il faut faire face, prendre position. Le régime impérial s’est écroulé et un gouvernement provisoire de “défense nationale” s’est mis en place. L’Allemagne a exigé des élections pour pouvoir signer la paix avec un gouvernement légal. La nouvelle Assemblée, majoritairement monarchiste, porte au pouvoir Adolphe Thiers. À peine Thiers installé, le soulèvement de la Commune de Paris, les espoirs qu’elle suscite et la répression sanglante qu’elle entraîne, viennent brouiller les cartes du jeu politique. Des élections complémentaires ont renforcé les Républicains. Les Monarchistes, toujours majoritaires, ne représentent plus vraiment le pays. Thiers met en place les bases de la IIIe République.

L’Alliance Ecossaise est alors une Loge républicaine et anticléricale. Un an après sa création, elle compte quarante trois membres. Elle procède à plus de cinquante initiations dans les dix années suivantes. Emile Durand-Savoyat et Mathias Saint-Romme, tous deux avocat et futurs Vénérables Maîtres, la rejoignent. Le premier est fondateur du journal radical Le Réveil du Dauphiné. Il défend les opinions républicaines les plus avancées. Il sera élu député de l’Isère en 1881, puis sénateur en 1897. Le second, fils d’un député de la Seconde République, sera lui aussi député puis sénateur, de 1881 à 1919.

1872… Thiers, en imposant la République s’est aliéné les Monarchistes. Ceux-ci l’interdisent de parole au Parlement, puis imposent leur ordre du jour. Thiers démissionne. Il est immédiatement remplacé par Mac Mahon qui sera chargé de rétablir “l’ordre moral” dans le pays. En fait l’Ordre moral consiste d’abord en une vigoureuse épuration de l’administration. Les pouvoirs de la présidence sont étendus. L’état de siège est établi.

Les loges de l’Isère, qui avaient bénéficié d’un préjugé favorable, sont maintenant regardées avec beaucoup de méfiance. En 1873, la loge de Bourgoin est interdite. Plusieurs Frères de L’Alliance sont proscrits, comme Durand-Savoyat ou Louis Trillat, maître d’hôtel place Grenette.

Peu à peu, l’influence des Républicains grandit. Les élections parlementaires de 1876 leur donnent une très large majorité, mais ils restent divisés et le Sénat est encore aux mains des conservateurs. En mai 1877, le président Mac Mahon tente d’imposer un gouvernement conservateur, immédiatement mis en minorité. Il dissout l’Assemblée. Les élections donnent alors lieu à une campagne passionnée. Le ministre de l’Intérieur révoque, ferme, poursuit… En Isère, le préfet interdit les tenues maçonniques. Celles-ci resteront suspendues plusieurs mois.

Les Républicains remportent les élections d’octobre 1877, et, un an plus tard, les sénatoriales et les municipales. Mac Mahon ne peut plus tergiverser : il doit se soumettre ou se démettre. Il choisit le départ. Jules Grévy le remplace et tire les conséquences de la crise : la IIIe République sera parlementaire et non présidentielle. Elle aura pour projet l’instauration des libertés publiques et l’œuvre scolaire, indissociable de la lutte contre l’influence du clergé sur la société.

Engagement

Dès cet instant, la franc-maçonnerie se lancent visiblement dans l’action. L’Alliance est très présente, avec pas moins de quatre députés dans ses rangs. Les Arts Réunis sont plus en retrait, la neutralité maçonnique bâtie patiemment par Hippolyte Bouvier pesant toujours d’un grand poids. L’Alliance et Les Arts entretiennent pourtant des relations cordiales, comme en témoignent les nombreuses tenues ou fêtes solsticiales communes.

À partir de 1892, les travaux ont lieu à l’angle de la rue Billerey et du cours Saint-André, aujourd’hui Jean Jaurès. Grâce à l’effort financier des Frères grenoblois et à la bienveillance du maire Auguste Gache, lui-même franc-maçon, Émile Robert, conducteur de travaux et futur Vénérable Maître de L’Alliance, « a élevé pierre à pierre, sans relâche, un Temple digne de la franc-maçonnerie grenobloise, triomphe de l’architecture maçonnique… ».

Cette fin de siècle est marquée par de grandes découvertes – le phonographe, le vaccin contre la rage – mais aussi par la crise économique, le chômage, l’exode rural. Le monde ouvrier est soumis à des conditions de vie et de travail difficiles, sans protection sociale. Mais déjà le renouveau du mouvement syndical et du socialisme a changé la face des choses.

Pendant longtemps L’Alliance est réticente aux idées collectivistes. Elle condamne les mouvements sociaux d’émancipation de la classe ouvrière et applaudit par ailleurs aux succès de la colonialisation… Bien plus à gauche que la majorité de ses Frères, le Docteur Bordier est l’une des figures marquantes de l’époque. Initié le 24 mai 1882, il sera trois semaines plus tard, Orateur de l’Atelier et son Vénérable Maître en 1893.

« Je m’appelle Arthur Alexandre Bordier. Je suis franc-maçon à L’Alliance Ecossaise.

Je suis né le 3 mai 1841 à St-Calais dans la Sarthe. J’ai exercé comme docteur en médecine, puis professé à l’école d’anthropologie de Paris. Je suis aujourd’hui directeur de l’Ecole de médecine et de pharmacie de Grenoble. Je suis passionné par la biologie et la préhistoire.

Je suis athée, bien sûr, comme la majorité de mes Frères : « La pensée, ce n’est pas le produit d’une âme immatérielle. Fixée dans un crâne, elle est le résultat de la combustion du cerveau, absolument comme le mouvement est le résultat de la combustion d’un muscle. La question sociale est aujourd’hui perçue comme la préoccupation la plus palpitante de l’humanité civilisée. Le socialisme vise à la réorganisation de la société actuelle en employant des procédés sages pour éviter les révolutions et arriver ainsi à la suppression des souffrances humaines.

La franc-maçonnerie, qui a toujours été à l’avant-garde, a un rôle important à jouer. Il est donc jugé utile de faire l’étude des questions sociales et politiques, et de déployer pour cela les qualités d’union, de concorde et de solidarité qui devraient faire la force et la discipline maçonnique…

Il est plus que jamais du devoir de la franc-maçonnerie d’émanciper la pensée, de libérer les citoyens, de préparer une humanité réfractaire à toutes les tyrannies, à tous les despotismes, à toutes les superstitions et capable de compléter son évolution dans la pleine et absolue liberté de la pensée individuelle, guidée par ces deux phares : la Raison et la Science ! »

L’Alliance prend de l’ampleur… L’effectif augmente : soixante sept membres en 1876, cent dix-sept en 1898. Les Frères restent des Républicains convaincus. S’ils ne sont pas toujours à la pointe du combat socialisant, ils ne manqueront pas ce rendez-vous avec l’histoire de la conscience humaine que constitue l’affaire Dreyfus.

« Je m’appelle Charbonnier. Je suis franc-maçon à L’Alliance Ecossaise.

Je suis né le 28 février 1850 à l’Albenc en Isère. Je serai directeur de l’Ecole supérieure de garçons de Grenoble et maire de Fontaine…. J’ai été initié le 25 février 1893. Cinq années plus tard, je suis Orateur de la loge quand Clémenceau relance l’affaire Dreyfus en publiant dans son journal le fameux « J’accuse » de Zola. Je suis, à Grenoble, un des premiers à réagir. Le 26 février, j’interpelle mes Frères « sur la situation qui nous est actuellement faite au point de vue moral par les sociétés religieuses. Le cléricalisme et l’antisémitisme s’attaquent non seulement aux Juifs, aux Protestants et aux libres penseurs, mais bien à tous les partisans de la société laïque. » Quant aux Juifs, « les antisémites leur attribuent une importance disproportionnée relativement à leur nombre, à leur fortune et à leur influence. Les faits fort regrettables qui viennent de se dérouler devant la cour d’assises en sont une preuve irréfutable : tous les Juifs ne peuvent être coupables par la faute de l’un d’eux, toute l’armée insultée parce que l’un de ses chefs est attaqué.

Ah, l’armée ! Que de tristes réflexions on pourrait faire à ce sujet… Ce loyalisme dont on nous a rebattu les oreilles, nous l’avons connu en 1862 (quand l’armée matait l’opposition et que les officiers siégeaient aux tribunaux d’exception et condamnaient les républicains notoires). Nous pourrions y croire mieux aujourd’hui si l’armée, si les grands chefs avaient changés de doctrine. Etant toujours sous l’influence des Jésuites, ils ont toujours les mêmes dispositions. Et quand nous savons que le général Boisdeffre s’est entouré de collaborateurs sortis des officines de Jésuites et reconnus bien-pensants, nous ne sommes plus étonnés de la passion et du parti pris avec lequel l’élément clérical a attaqué le juif Dreyfus et innocenté le clérical comte Esterhasy. On n’est plus étonné de voir tant de gens, de vrais Français, de vrais patriotes, douter de l’équité du jugement du conseil de guerre de 1894. »

Une historienne notera: « Bien plus que l’antisémitisme qui se développe alors, bien plus que l’homme en lui-même, ce qui intéresse les Francs-Maçons dans l’affaire Dreyfus, ce sont les principes de justice et de liberté individuelle que l’on bafoue. Être “dreyfusards” est presque naturel ; il s’agit de défendre les droits de l’individu au nom de la vérité et de la justice contre la raison d’Etat et les constitutions qui écrasent l’homme et aliènent sa liberté. Défenseurs des droits de l’homme, mus par une conception exigeante de la morale et du respect de la personne humaine, les francs-maçons défendent à travers Dreyfus leurs principes plutôt que l’homme. Ils sont “dreyfusards” parce qu’ils sont républicains. »

Étendard

Le 12 octobre 1898 l’étendard de la loge fait sa première entrée solennelle en Loge, porté par le Frère Reydel. Cet étendard qui, aujourd’hui encore, orne notre temple.

Le Vénérable Maître en chaire, l’instituteur Alexandre Romanet, rappelle la signification de l’emblème : « indépendance d’esprit, sincérité dans les convictions, union et solidarité dans la lutte ». Il poursuit : « je lance un chaleureux appel à l’union des Maçons par le travail. La vie n’est qu’un instant, mais cet instant suffit pour entreprendre des choses éternelles ; on pense, on aime, on travaille. Entreprendre dans notre humble carrière des choses qui, toutes obscures qu’elles sont, méritent de durer et de modifier salutairement, fût-ce dans la plus petite mesure, la destinée de nos familles, de notre pays, de l’humanité, de la cité universelle des esprits, oui, voilà bien le rôle du vrai Maçon !Les fondateurs de notre Loge l’avaient aussi compris, c’est ce que nous rappelle la date du 5 mai 1869. Nous nous souviendrons et nous saurons défendre le patrimoine d’honneur et de liberté qu’ils nous ont légué. Cet étendard nous rappellera leurs luttes et leurs victoires et sa présence au sein de nos travaux sera pour nous un puissant stimulant. Nous consoliderons leur œuvre et nous ferons en sorte que les générations qui nous succéderont ici puissent dire de nous ce que nous disons aujourd’hui de nos aînés. Pour atteindre ce but, il faut être unis. Que la triple acclamation par laquelle nous allons saluer notre étendard soit prononcée du fond du cœur et que ces trois couleurs signifient toujours : union, union et triple union. »

Le Frère Orateur, Defeuillez, conclut alors : « Le Frère Reydel nous offre ce soir un étendard. En votre nom je déclare que toujours au milieu de vous ses plis ne flotteront que sous le souffle anticlérical, démocratique et vraiment maçonnique. » Mais pour respectable qu’elle soit, la “vieille dame” Alliance Ecossaise a connu quelques turbulences. L’histoire ne lui donnera pas forcément raison des choix qu’elle a faits.

L’Avenir

En ce début du XXe siècle, L’Alliance compte plus de 120 Frères. Mais les premiers succès du socialisme suscitent une crise grave. Voyant dans ce système un éminent danger social, deux Frères, Stéphane Jay et Pierre Duclot, constituent aux élections municipales de 1900 une liste de concentration anticollectiviste. Le Vénérable Maître Alexandre Romanet leur apporte son aide, bien que cette liste ait obtenu le soutien de la droite. Plusieurs jeunes Frères – Léon Perrier, le docteur Léon Martin, l’avocat Joseph Vallier, l’instituteur Jacquet – sont scandalisés. Ils présentent contre lui, au renouvellement des Officiers de la Loge, une liste adverse menée par un vieux militant radical, Alphonse Marquian. Marquian l’emporte de justesse mais Romanet conteste la validité de la candidature de son adversaire, honoraire et absent des colonnes depuis 15 ans. La Grande Loge de France invalide les élections. Faute de pouvoir trouver un terrain d’entente, plus de 30 Frères font sécession. L’Alliance Ecossaise engendre en 1901 une première fille, la Respectable Loge L’Avenir, qui reste affiliée à la Grande Loge de France. Le Collège des Officiers de L’Avenir est éloquent. Il regroupe, autour de Marquian, Joseph Vallier, Léon Martin, Léon Perrier et l’ensemble de ceux que l’on appelle “les jeunes Turcs”.

« Je m’appelle Léon Perrier. Je suis franc-maçon à L’Avenir.

Je suis né en 1873 à Tournon en Ardèche, et ait été initié à L’Alliance Écossaise le 13 juillet 1898. J’ai été accusé par certains historiens d’avoir été “activiste et ambitieux” au point d’avoir voulu fonder ma propre loge pour pouvoir plus facilement faire carrière maçonnique. La vérité est que mon parcours maçonnique comme politique a été certes agité, mais toujours animé par le souci de défendre la République.

Franc-maçon, j’ai été pendant quatre ans Vénérable Maître de L’Avenir, et à trente ans membre du Conseil Suprême de la Grande Loge de France. Homme politique, j’ai fondé en 1901 la section grenobloise de la Ligue des droits de l’Homme. J’ai été élu conseiller général de Bourg d’Oisans en 1907, député de 1910 à 1919, sénateur en 1920, président du conseil général de l’Isère de 1920 à 1940. J’ai été nommé ministre des Colonies de 1925 à 1929.

Globalement, la Franc-Maçonnerie a été pendant plus de quarante ans le laboratoire d’idées, le vivier d’hommes et le réseau d’amitiés à la base de mon action politique. Et j’ai été considéré, entre les deux guerres, comme le véritable patron politique de l’Isère. »

Lourde suite à cet essaimage : en 1902, les élections législatives et des affaires de capitations enveniment les relation entre les deux loges, puis avec le Grand Maître de la Grande Loge de France. L’Alliance Ecossaise quitte la Grande Loge. Elle est accueillie à bras ouvert par le Grand Orient de France qui l’autorise à travailler au Rite Ecossais Ancien et Accepté.

Malgré le départ de son aile gauche, L’Alliance réaffirme son attachement aux valeurs républicaines et laïques. Elle s’affilie au Congrès radical et radical-socialiste. Elle demande l’expulsion de toutes les congrégations, sans exception. Elle se prononce pour la suppression de l’ambassade du Vatican et du budget des cultes, pour la dénonciation du Concordat, pour la séparation des Eglises et de l’Etat.

1910… Le Grand Orient de France interdit à ses membres de faire partie d’une loge mixte. L’Alliance approuve cette décision à l’unanimité. Le problème posé par la Franc-Maçonnerie féminine n’est pas une nouveauté : il s’est en fait déjà posé en 1889. Les Frères de L’Alliance étaient partagés entre la défense des Francs-Maçonnes et une certaine intransigeance quant à la mixité dans leur propre loge ou dans leur Obédience. Une position qui perdurera jusqu’à aujourd’hui.

Ce 25 février 1911, le Frère Jacquet, qui vient d’être décoré du mérite agricole, présente d’ailleurs une planche sur “le féminisme”. Il reconnaît que si « physiologiquement, la femme diffère de l’homme, avec l’instruction elle est susceptible de devenir l’égal de l’homme. Il est du devoir des Francs-Maçons d’aider à l’émancipation de la femme ». L’atelier applaudira…

Toujours en 1911 et en réaction aux mesures prise par Clémenceau pour réprimer la grève des cheminots de 1910, L’Alliance émet le vœu que « les parlementaires Francs-Maçons combattent de toute leur énergie tout projet de loi portant atteinte au principe fondamental de la liberté du travail, qui implique en lui-même le droit de grève ».

La der des der

17 juillet 1914, avant dernière tenue de l’année maçonnique… L’Alliance compte 156 membres. L’ordre du jour appelle la lecture de la question à l’étude des loges qui porte sur les rapports franco-allemands. La loge l’étudiera dès la rentrée… mais la rentrée n’aura pas lieu. Sur le livre d’architecture de la loge, une écriture calligraphiée annonce en très grand caractères la mobilisation générale du 2 août et la déclaration de guerre du 4.

En décembre, le collège des officiers se réunit. Les élections sont repoussées « en raison des événements actuels qui privent l’atelier de beaucoup de ses membres mobilisés pour la défense de la patrie », et les pouvoirs des officiers sont prorogés jusqu’à la fin des hostilités. Une contribution de 1000 francs – l’équivalent d’une centaine de Troncs de la Veuve ! –, est versée pour les formations sanitaires de la ville de Grenoble, ce qui doit permettre de venir en aide aux blessés. Les Arts et L’Avenir abondent de 750 francs.

La tenue suivante a lieu trois ans plus tard, en octobre 1917. L’atelier salue ses glorieux morts, ses mutilés, ses blessés « tombés à l’ennemi » pour la patrie, et ceux qui n’ont pas résisté au chagrin de la guerre. Plus de vingt noms sont cités… Le Vénérable souligne alors que pendant « cette longue période de sommeil, l’activité personnelle de chacun de nos Frères ne s’est jamais ralentie. Tous ont toujours fait leur devoir maçonnique, tant à l’intérieur que dans la zone des armées. » Les loges grenobloises constituent une Commission des économies chargée de mettre en place tous moyens de pouvoir continuer les travaux à moindre frais, étant donnée la cherté de l’éclairage et du chauffage.

1918… Le 12 novembre, au lendemain de la capitulation allemande, le Vénérable Maître Alexandre Romanet se félicite de « l’heureuse issue pour les nations alliés de quatre ans et demi de guerre contre les empires centraux, consacrant le triomphe des démocratie sur le militarisme impérial ». Accord est donné pour que les trois « loges sœurs » de l’Orient – Arts, Alliance et Avenir – accueillent de concert nos Frères américains en permission à Grenoble. Cette tenue commune a lieu le 21 novembre. Trente deux Frères d’outre Atlantique sont accueillis maillets battants. Le Vénérable des Arts, le Frère Blanchet, prononce l’allocution de bienvenue. « … L’an dernier au mois de juin, quand vint votre vaillant général notre Frère Pershing, sa première visite fut pour le vieux et presque oublié cimetière Picpus où notre Frère Lafayette dort de son dernier sommeil, et là, devant la pierre funéraire, il dit simplement : “Lafayette, nous voici !” Et vous étiez tous derrière lui, et depuis ce moment c’est par milliers chaque jour que vous avez traversé la mer pour venir à la rescousse de la France, et à l’aide de ses soldats presque épuisés par le sang qui avait coulé de leurs blessures sur tant de champs de bataille. Depuis ce moment, la bannière étoilée n’a pas cessé de flotter fièrement auprès de nos couleurs nationales jusqu’au jour du triomphe, dans la victoire de la justice et du droit. »

La franc-maçonnerie sort de la guerre de 14-18 affaiblie moralement et physiquement. L’Alliance Ecossaise n’a initié personne pendant presque cinq ans ? Elle recevra 112 profanes avant la fin des années 20 ! Elle fera entendre sa voix pour protester contre la constitution de la Ligue d’action civique, à qui l’on peut distribuer des armes et des munitions en cas de conflits économiques. Elle donnera un avis favorable pour l’impôt sur le capital. Elle adoptera un rapport sur la socialisation rapide des grands moyens d’échanges et de production nationale.

1922… Le Grand Orient et le Droit Humain signent leur première convention. Les premiers visiteurs du Droit Humain à L’Alliance seront cinq Frères de la Respectable Loge Hélios, qui vient juste d’allumer ses feux. Leur Orateur, le Frère Tagnard, « expliquera longuement les but des loges du Droit humain. » L’accueil sera plutôt froid…

1927… Lindbergh traverse l’Atlantique.

1928… Les femmes obtiennent le droit de vote… en Angleterre.

1930… Notre Frère Roche indique à l’Atelier quel est le sentiment du Conseil de l’ordre sur l’admission des femmes dans la Maçonnerie : « En l’état actuel de leur éducation, ce sentiment lui est apparu nettement défavorable en raison des résultats obtenus dans les Orients étrangers. »

Engagement encore

La crise générale des années 30 n’épargne pas les systèmes de valeurs. Nombreux sont ceux qui recherchent dans les extrêmes – fascisme, stalinisme – des voies nouvelles. C’est l’époque des Croix de Feu, celle de l’affaire Stavisky. Suivant leurs convictions, de nombreux Frères tiennent les premiers rôles dans la vie politique, comme le député Joseph Vallier. D’autres s’engagent dans la vie de la Cité, comme Auguste Villard, instituteur devenu syndicaliste écouté. Ou Hippolyte Müller, autodidacte et homme de culture qui fonde le Musée dauphinois et devient un des meilleurs ethnographes de son temps.

« Je m’appelle Hippolyte Müller. Je suis franc-maçon à L’Alliance Ecossaise.

Je suis né à Gap en 1865 d’un père alsacien et d’une domestique grenobloise. A quatorze ans, je suis placé en apprentissage chez un artisan bijoutier de Grenoble. A dix-neuf ans, j’obtiens une vacation de deux mois au Muséum d’histoire naturelle. Je suis alors remarqué par le docteur Bordier qui me fait nommer bibliothécaire de l’Ecole de médecine. J’écrirai un jour : “Il faut souhaiter le classement méthodique de tous les gestes humains commandés par la nécessité, la lutte pour la vie. Il faut aussi une classification dont les expressions soient, pour ainsi dire, mathématiquement exprimables. Observer, expérimenter, décrire ensuite.”

En 1906, la municipalité de Grenoble m’autorise enfin à installer le musée que je réclame au cœur du quartier Très-Cloîtres, dans la chapelle d’un couvent des Visitandines du XVIIe siècle, à Sainte-Marie-d’en-Bas. Mon œuvre n’aura pas été vaine. Si je quitte ce monde en 1933, André Malraux viendra en 1968 inaugurer le Musée dauphinois dans ses nouveaux locaux, à Sainte-Marie-d’en-Haut. C’est aujourd’hui un musée de renommée internationale. »

1931… Le Vénérable Maître Alexandre Romanet est remplacé par Hippolyte Roche. Romanet, instituteur, a été initié en 1891. Il devient rapidement le Secrétaire de la loge, puis son Orateur, puis son Premier Surveillant faisant office de Vénérable Maître à la place du frère Saint-Romme, alors sénateur et rarement présent en loge. Il est enfin élu Vénérable en titre en 1898, poste qu’il tiendra sans interruption pendant 33 ans !

La succession d’Alexandre Romanet ne se fait pas en douceur. La procédure de désignation du collège fait l’objet de polémique. La « réunion de famille » qui regroupe le collège des officiers et les frères les plus anciens et qui désigne d’habitude le prochain collège est remise en cause. Des Frères demandent que toute la loge puisse choisir ses officiers. Il ne faut pas moins de trois tenues, et quand même une réunion de famille improvisée, pour parvenir au passage au vote. Vingt-deux voix pour Hyppolite Roche, qui a refusé tout poste dans un collège mené par Romanet, douze seulement pour Romanet, mis en minorité, et six pour Jacques Bernard, qui ne faisait pas partie du collège précédant. Jacques Bernard, futur Vénérable Maître, fera l’éloge d’Alexandre Romanet avant que l’atelier ne lui accorde illico le titre de Vénérable Maître d’honneur.

1934… L’Alliance Ecossaise écrit au Grand Orient : les Frères, « fidèles aux principes des traditions républicaines et laïques » sont « émus d’une part par les menées préfascistes, d’autre part par la campagne réactionnaire activement organisée et encouragée en vue d’un renversement du régime. Ils demandent au Grand Orient de France quelle serait l’attitude et la conduite des Maçons en présence d’un mouvement antirépublicain. Ils font confiance aux dirigeant du Grand Orient dans leur fermeté à analyser toutes tentatives des factieux, et se déclarent solidaires de l’action éventuelle à mener en vue de la sauvegarde des traditions républicaines ».

1936… Lors de la constitution d’un Comité national de coordination Maçonnique, le Droit Humain n’est pas représenté. Pourtant l’année suivante, en réponse à une Question à l’étude des Loges, le Frère Roche, Orateur, résume les débats… Je regrette qu’« en raison de considérations internationales et d’essais malheureux, il n’a pas été pris parti sur l’entrée de la femme dans la Maçonnerie. Je convie chacun de nous à insuffler à nos compagnes l’esprit maçonnique et serais partisan que le Grand Orient crée des Ateliers féminins. Sur cette question, depuis des années, sentiments et raison s’affrontent. Au moment proche où politiquement l’égalité des deux sexes sera un fait acquis, il convient de prendre position. » L’atelier adoptera le rapport et les remarques de l’Orateur. Dans la foulée, il acceptera la location du Temple à la Loge Hélios moyennant 1 000 F de loyer annuel plus 500 F pour le Frère Servant.

1936, c’est aussi la victoire du Front populaire. L’atelier planche sur : l’organisation des hauts grades ; les question biologiques ; la tuberculose ; la syphilis ; les questions coloniales ; les tradition et secrets maçonniques… Mais rien sur les congés payés ou autres avancées sociales !

Les années sombres

Septembre 1938… Les accords de Munich viennent d’être signés entre l’Allemagne, l’Italie, la France et le Royaume Unis, en l’absence notoire de la Tchécoslovaquie. Des accords qui signent la mort de ce pays et son annexion par Hitler. Daladier et Chamberlain retournent dans leur pays dans l’enthousiasme : le pire a été évité !

L’Alliance ne détonne pas. Elle accueille le retour de Daladier avec soulagement. La rentrée maçonnique a eu lieu comme d’habitude le deuxième mercredi d’octobre. Auguste Villard préside, et la tenue est principalement consacrée à une « causerie » sur le symbolisme du rituel. Puis avant de la clore les travaux, le Vénérable Maitre « se félicite que nos hommes d’État nous aient préservés du plus terrible fléau qui puisse être suspendu sur l’humanité, la guerre, que nous avons connue en 1941-1918 et qui aurait encore été plus terrible et dont nous ne pouvons pas nous rendre compte et apprécier la portée pour notre civilisation, qui risque alors de disparaître dans la barbarie et la renaissance des mauvais et bas instincts de la bête humaine. »

L’année maçonnique 38-39 se déroule classiquement. Le Convent a fait de la défense de la paix et de la fraternité le centre de sa réflexion. La guerre n’est pas fatale ! Il faut tout tenter pour l’éviter ! Le Grand Orient commente les évènements en parlant « d’angoissants problèmes » et en appelle à « l’union fraternelle pour le triomphe de l’idéal maçonnique hors de l’emprise de tout parti politique. »

L’année suivante est moins classique. Depuis le 3 septembre 1939, la France et le monde sont en guerre. La tenue du 22 octobre prend acte de l’ajournement du Convent, établit une liste des Frères mobilisés, fait le point sur les finances, prépare la réunion commune des trois « loges sœurs » de l’Orient : Les Arts, L’Avenir et L’Alliance.

Les deux tenues suivantes n’ont lieu qu’en février et mars 1940. Les problèmes administratifs dominent : accueil des frères britanniques, polonais ou tchèques ; recherche des disparus et prisonniers de guerre ; mise en place d’un fond central de solidarité ; affiliations des amis espagnols ; situation peu brillante des finances… Et une seule question mise à l’étude des loges par le GODF : « Quelles doivent être les conditions morales indispensables au rapprochement et à l’entente durable entre les nations ? »

Une dernière tenue a lieu en avril. Quelques jours plus tard, Hitler ouvre le front occidental. La drôle de guerre se transforme en débâcle. En juin les Allemands arrivent à Voreppe où des combats acharnés les arrêtent. Les Italiens sont bloqués sur le front des Alpes. Grenoble ne connaît pas – encore – l’humiliation de l’occupation. L’armistice et la ligne de démarcation placent notre région en zone libre, mais il faut être prudent.

Marcel Bellon, un instituteur de 59 ans qui vient juste d’être initié, se voit confier la tâche de mettre en sécurité outils et archives. Il se fait aider par un tout jeune homme de 17 ans, fils de ses voisins et amis, PMT. Ensemble ils remplissent deux grandes cantines métalliques, les enveloppent dans du papier goudronné et les cachent au fond du jardin sous une pile de fagots.

Les foudres du gouvernement dit de “révolution nationale” s’abattent sur les Juifs, les “sociétés illégales” en général et sur la Franc-Maçonnerie grenobloise en particulier avec la dissolution immédiat des loges maçonniques, la saisie des biens mobiliers et immobiliers, la révocation ou la mise à la retraite d’office des francs-maçons fonctionnaires, magistrats, médecins, maires…

L’histoire de la persécution de la franc-maçonnerie iséroise est très bien documentée. Ce sont des centaines de documents qui ont été détournés du cabinet du Préfet de l’Isère – sans doute par un franc-maçon haut placé à la préfecture. Ces documents ont été rassemblés dans une caisse en bois que les Vénérables Maitres successifs de L’Alliance se sont transmis tel un mistigri, jusqu’à ce que notre loge décide de les retourner au domaine publique en les donnant, en 2005, aux Archives de l’Isère.

« Je m’appelle Georges Pinatzis. Je suis franc-maçon à L’Alliance Écossaise.

Je suis né en 1879 à Kios, en Turquie. À la fin du XIXe siècle, j’émigre à Grenoble, où je suis docteur en médecine. Je suis aussi pendant cinq années médecin chef de l’hôpital de Rives. L’Alliance m’initie le 28 février 1903. Je prend fait et cause pour les Grecs qui sont chassés d’Asie Mineure en 1922 et apporte mon aide à ceux d’entre eux qui s’installent à Grenoble. La communauté grecque conserve de moi l’image d’un homme généreux, soignant gratuitement les plus démunis. Je reçois la légion d’honneur en 1931 et suis naturalisé en 1935. Dès la promulgation de la loi sur les sociétés secrètes, des rumeurs odieuses se répandent… »

« Monsieur le Préfet… … la grande majorité des Grenoblois demandent la suspension dans l’exercice de ses fonctions de monsieur le docteur Georges Pinatzis. Grec d’origine, qui a exercé la médecine pendant de nombreuses années sans avoir acquis les diplômes nécessaires, embusqué notoire de la guerre 14-18, a été décoré de la légion d’honneur grâce à ses relations influentes… Tous les Grenoblois honnêtes et propres espèrent que cet embusqué notoire doublé d’un faussaire et d’un combinard de grande classe soit balayé du pays… Les récompenses abusives qu’il a obtenu lui créeraient-elles, comme on veut vous le faire croire, des droits à la perpétuation des abus, suivant les principes de Machiavel qui sont aussi ceux de la franc-maçonnerie ? »

À Grenoble, le Temple de la rue Billerey est mitraillé. L’ordre de le vendre est donné. La municipalité y installe provisoirement un centre de distribution des tickets de rationnement avant que le service des Domaines ne le saisisse et ne le fasse raser. « Ce furent les années sombres pendant lesquelles, cependant, s’organisa la Résistance… » comme le décrivent les tracés des tenues de Triple Union et Amitié. « A Voiron, Garavel et Zezier furent les premiers à prendre la tête du mouvement. À Rives, ce fut Burval. Un peu partout, dans l’Isère, on peut dire que ce sont les Francs-Maçons qui furent à l’origine de l’organisation des Mouvement francs-tireurs, Libération, etc., qui se groupèrent ensuite dans le M.U.R., Mouvement Unis de la Résistance. »

Résistance

Partout les Frères s’engagent…

Léon Martin, maire de Grenoble et député de l’Isère, a voté contre les pleins pouvoirs constituants au maréchal Pétain. Avec Eugène Chavant et Aimé Pupin, deux Frères de l’Avenir, il met en place à Grenoble le mouvement Franc-Tireur. Arrêté par les Italiens, il s’évade du fort de l’Esseillon et poursuit son action de résistance dans le centre de la France.

Léon Perrier n’a fait que s’abstenir lors de l’attribution des pleins pouvoirs à Philippe Pétain, ce qu’il regrettera. Il est cependant démis de toutes ses fonctions. Il est interné à Vals-les-Bains en Ardèche, puis assigné à résidence à Nice. Profitant de sa semi-liberté, il rejoint la Résistance. Repéré, il est de nouveau interné avant d’être libéré au cours de l’été 1944.

Gaston Valois, médecin et maire de Tullins, conseiller général, est démissionné d’office. Léon Perrier l’initie dans son appartement, converti un temps en temple maçonnique, et le fait entrer dans les réseaux de Résistance. Valois organise le mouvement dans les Chambarrans puis en l’Isère. Il est arrêté le 27 novembre 1943. Après deux jours de torture, plutôt que de risquer de parler, il se tranche les veines sous les yeux de Gustave Estadès, dit Tatave.

Tatave est l’un des Résistants de la première heure. Il commet de nombreux actes de guerre, changeant constamment de domicile, logeant parfois chez une amie d’enfance, Mado, elle aussi Résistante. Tatave est arrêté le même jour que le docteur Valois alors qu’il entre en contact avec un certain Riquet. Tatave et Riquet se retrouvent voisin de cellule. Riquet arrivera plus tard à s’échapper. Tatave, lui, est déporté à Buchenwald, puis Dora, puis Ravensbrück. Quand l’Allemagne en déroute décide de détruire Ravensbrück, Tatave arrive à s’échapper. Longue fuite à travers des pays dévastés. Il retrouve Grenoble, enfin, quelques jours après l’armistice du 8 mai. Il se consacrera plus tard, tout naturellement, à la création du musée de la Résistance et de la déportation.

Tatave sera initié à L’Alliance le 23 mars 1957. Riquet, de son vrai nom ACM, sera lui aussi initié à L’Alliance. Quant à Mado, elle sera dans notre Temple et pendant de nombreuses années l’assistante de nos Frères Servants.

Résistance des Frères de L’Alliance !…

En Oisans ULG prend le maquis avec son fils PLG, futur Vénérable Maître.

Henri Batail commande le secteur de l’Armée secrète qui couvre ce massif. Il sera initié par L’Avenir en 1947 et s’affiliera à L’Alliance en 1963.

En Vercors, Alexandre Boissieu, Auguste Villard, Marin Dantella et VHL font partie des Francs-Tireurs. Aux côtés de VHL, son fils DHL. Ensemble, ils ont plus particulièrement en charge la logistique des troupes et du ravitaillement. Leur entreprise familiale de transport offre une couverture idéale mais fragile : fin août 44, juste avant la libération, les Allemands détruisent cars, camions, garages, bâtiments. DHL sera initié à L’Alliance le même jour que Tatave.

La compagnie Stéphane compte début 1943 une nouvelle recrue : PMT. PMT participe à toutes les campagnes de cette Compagnie, en Chartreuse, Belledonne et Maurienne, avant de défiler le 18 juin 1945 sous l’Arc de triomphe. PMT sera initié à L’Alliance en 1952, le même jour que MVS, lui-même résistant de l’armée secrète du Grésivaudan, futur Vénérable Maître de L’Alliance.

A Sassenage, Coco Reverdy entre en Résistance…

« Je m’appelle Louis Reverdy, dit Coco. Je suis franc-maçon à L’Alliance Ecossaise.

Je suis né le 28 septembre 1883. Je tiens un café, place des Cuves à Sassenage. J’ai été initié le 8 avril 1924. Conseiller municipal en 1925, je deviens maire de Sassenage en 1936. Je n’ai pas été révoqué par Vichy parce que Sassenage comptait moins de 2 000 habitants. Chargé de la surveillance de ma commune par Eugène Chavant, j’alerte le maquis chaque fois que les Italiens ou les Allemands passent devant chez moi pour monter dans le Vercors. Je sabote les directives de Vichy et de l’occupant en préservant Sassenage du pillage et de la destruction. Je fais passer des résistants et sauve des Juifs. Le 16 juin 1944, dénoncé, je suis embarqué par la Gestapo et la milice.

Je suis torturé par des Français à Engins. Puis je passe huit jours dans les locaux de la Gestapo, cours Berriat, où je suis de nouveau torturé. Transféré à Montluc, à Lyon, ça recommence. Mais je n’ai jamais parlé. Je n’ai jamais donné le moindre nom. Je suis mort dans des conditions atroces, dans un train, entre Lyon et Dachau… Le registre de ma Loge porte cette simple inscription : “Mort étouffé dans le wagon de Compiègne”.

Parfois, en ces heures sombres, un rayon de soleil… A Londres, le 8 février 1942, Adolphe Bugnon, Vénérable Maître de la Respectable Loge Hiram ouvre les travaux d’une tenue commune avec la Respectable Loge Albert de Belgique. Cette tenue accueille des Frères venus de nombreux Orients continentaux. La situation en France et en Belgique est longuement évoquée, et particulièrement « l’influence de l’Eglise, dont Pétain est le représentant politique. »

« Je m’appelle Adolphe Bugnon. Je suis franc-maçon à L’Alliance Ecossaise.

Je suis né le 7 avril 1894 à Arcueil-Cachan, dans la Seine. J’ai été apprenti cuisinier à Paris et à Londres avant de parcourir le monde – Nouvelle-Zélande, Cuba, New-York… – et de m’installer à Londres après la première guerre mondiale. J’ai été initié à la Loge Hiram en 1921 et ai été son Vénérable Maître de 1940 à 1951. La seconde guerre mondiale m’a vu combattre à Dunkerque et Brest, où j’ai été blessé. J’ai fini la guerre à Londres où j’ai été très actif, en contact avec les Frères d’ici et d’ailleurs, et en particulier avec le Frère Roosevelt.

“Durant ces jours sombres de l’occupation, nous avons eu à Londres la grande joie, joie un peu mêlée toutefois de mélancolie, de recevoir des Frères de tous les pays : France, Belgique, Espagne, Italie, Tchécoslovaquie, et j’en passe. Des civils, des militaires… Comme une mère qui ouvre ses bras à ses enfants pour les réchauffer de son affection, nous avons accueilli tous ces Frères malheureux et loin de leurs patries respectives, leur avons fait goûter des joies de l’hospitalité. Ils ont, pour un moment, oublié leurs soucis, leur anxiété pour des êtres chers laissés sous la botte, et notre bonheur d’avoir pu leur donner de la joie et un peu d’oubli a été fait de la leur. Car c’est cela la franc-maçonnerie : faire le bien pour l’amour du bien, rendre l’espoir à des cœurs malheureux, et préparer les meilleurs jours au moments les plus tragiques de notre histoire.

La franc-maçonnerie est d’abord une formation humaine, et c’est dans ses Temples que l’on acquiert la formation de faire de chaque homme néophyte un exemple. Je veux dire un exemple dans la vie profane, car la franc-maçonnerie se bâtit dans ses Temples mais se vit dans le profane. Notre politique, c’est la fraternité humaine. Notre évangile, c’est la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, notre culte, la bonté et la beauté. Nous sommes contre les privilèges, les inégalités, le vice causé par les taudis, le temporel dans la religion. Nous sommes contre la nuit écrasante, la misère et la honte”. »

De retour en France, Adolphe Bugnon s’affiliera à L’Alliance Ecossaise. Il sera à Grenoble conseiller en éducation technique, président de C.A.R. Messagers, professeur de technologie culinaire et créera le centre de Beauregard.

Réveils

1945… Auguste Villard organise le réveil de l’Atelier. Le Temple est alors provisoirement rue Millet. Le registre matricule de la loge nous apprend qu’une quinzaine de Frères n’ont pas repris l’activité après la libération. Une demi douzaine sont décédés. Aucun mouvement n’est enregistré en 1945. L’année suivante enregistre trois initiations et douze affiliations.

1948… Auguste Villard et Garavel, de « la loge sœur Triple Union et Amitié », président conjointement les travaux. Plus de cinquante Frères décorent les colonnes. Ces tenues communes ne sont pas exceptionnelles : les archives de Triple Union et Amitié notent la visite régulière, voire systématique, de Frères de L’Alliance.

Triple Union et Amitié semble d’ailleurs avoir eu plus de mal que L’Alliance à reprendre ses travaux. Est-ce parce que la loge n’a plus de Temple ? Dès octobre 1944 des Frères se réunissent dans l’arrière salle d’un café de Voiron, et d’autres à Grenoble, également dans un café, bien loin de leur Orient en ces temps de transports problématiques. Ou est-ce à cause de la mise en place d’une « commission d’épuration » ? Celle-ci examinera, de longs mois durant, la situation des uns et des autres et en radiera certains pour « manque d’esprit maçonnique… inassiduité persistante… attitude équivoque ou servile envers Vichy… »

En débarquant en Normandie, les GI’s ne se sont pas contenté de débarrasser la France des Nazis et de quelques collabos. Les GI’s ont aussi offert à notre pays, avec leurs paquets de blondes et de chewing-gums, une autre façon d’être. Dans le laisser-aller des Américains, c’est la liberté même qui s’incarne, la nôtre et celle qui allait se répandre, à n’en pas douter, sur le monde. Mais « comment peut-on être poète après Auschwitz ? », s’interroge le philosophe allemand Théodor Adorno. La vérité des camps de la mort et celle de la bombe atomique viennent d’éclater. Elles sonnent la fin de l’optimisme rationaliste et bien pensant de la première moitié du siècle. Camus et son absurde, devient le rival de Sartre et de son existentialisme.

Le Comité de laïcité du Grand Orient s’associe à une campagne d’action laïque à travers le pays. Les bâtiments scolaires, le retour des congrégations, les Religieux et les établissement hospitaliers, la religion et l’armée, les manquements à la loi de la séparation…, tels sont quelques-unes des conférences proposées. Aux Frères de trouver dans leur Orient, « un laïc, Maçon ou non, susceptible de lire ou d’exposer une des conférences. » Pour L’Alliance, c’est le Frère Cotereau qui planchera à Grenoble, Vizille et Voiron.

1949… Le Grand Orient s’interroge : « La civilisation européenne est-elle en décadence ? » Les loges reconnaissent le désordre qui a résulté de la guerre. Elles évoquent le péril que l’opposition idéologique des deux grands blocs peuvent faire courir aux valeurs humanistes de la civilisation européenne.

Notre loge aussi a planché : elle s’engage vigoureusement dans le combat pour une Europe unie : « Pour que l’Europe ne meure pas, pour que sa civilisation s’étende et progresse, il faut lui donner, pour commencer, au moins son terrain propre, son terrain entier : l’Europe. La suppression pure et simple des frontières est un facteur de premier ordre dans l’étude des remèdes à la décadence. La mission actuelle de la Franc-Maçonnerie est de devenir le trait d’union de cette unification géographiquement politique de l’Europe. Qui donc mieux que nous, Maçons, possède les matériaux nécessaires à cette construction de la civilisation ? Ne retrouvons-nous pas nos Frères en tête de la civilisation la plus avancée de cette partie du siècle : l’américaine? Ne sommes-nous pas capables de faire en Europe le travail qu’ils font chez eux ? »

Mutations

Les années 50 seront celles des grandes mutations. La Chine de Mao va de Campagne aux 100 fleurs en Grand Bond en avant ; l’URSS déstalinise ; les Etats-Unis s’engagent dans l’anticommunisme ; Israël s’affirme ; l’Inde, l’Afrique, l’Indochine, le Moyen-Orient s’émancipent ; l’Europe s’unit… Les années 50 inventent le spoutnik, le hoola-hoop et la jeunesse, surtout la jeunesse. Zazous, existentialistes, ou rock-and-rollers, un vent de liberté souffle sur tout. Tout une génération, celle du baby boom, découvre avec ivresse qu’elle existe.

En ce début des années 50, notre Loge est riche de 85 maillons. Elle est, comme aujourd’hui, diverses, et par l’origine des Frères et par leurs opinions. On n’y compte aucun agriculteur, 3 spécialistes des Beaux-Arts, 4 travailleurs manuels, 6 médecins ou avocats, 6 professions libérales, 8 retraités, 9 employés de bureau, 11 divers, 12 ingénieurs et cadres techniques, 14 fonctionnaires, et 22 commerçants ou industriels.

« Comment réaliser la justice sociale dans la société contemporaine ? » interroge le Grand Orient de France. L’Alliance est pour le moins divisée… Le Frère Jean Duchesne, chef comptable : nous devons revenir à nos symboles originaux, qui placent l’œil de Dieu au cœur du delta mystique : « lorsqu’on s’écarte de Dieu et de ses lois, on engendre le désordre et le chaos. Les trois vertus théologales, foi, espérance et charité, correspondent à notre devise Liberté, Egalité, Fraternité, qui peuvent se traduire par tolérance, démocratie et collectivisme. Le delta mystique se retrouve dans ces trois mots. Il nous appartient d’être des fabricants d’étoiles. » Le Frère Boris Weiss, maroquinier : « nous devons nous inspirer de la franc-Maçonnerie du XVIIIe siècle dont le but était d’éclairer les masses. Il faut imposer les idées Maçonniques et nous arriverons à réaliser la justice sociale. Elle n’est d’ailleurs pas une question de budget de l’État ; il faut la rechercher sur le plan mondial, et pour le moins européen. » Le Frère André Guérini, chef du service départemental de la main œuvre, futur Vénérable Maître : « la justice sociale ne peut régner que si on supprime les classes. La question doit se résoudre sur le plan économique et non politique. Je propose comme moyen pratique de réaliser un système de sécurité sociale permettant de donner plus de justice, et de créer un système fiscal plus cohérent. »

Depuis plusieurs années, L’Alliance Ecossaise se consacre très activement à l’acquisition d’un terrain et à la construction d’un nouveau Temple, celui là même où nous nous trouvons aujourd’hui, au 27 boulevard Foch.

Déjà en 1950 un Orateur s’exclamait : « la Maçonnerie grenobloise a souffert. Le Temple anéanti, démoli pierre à pierre par le régime de Pétain, les Maçons traqués et dispersés par la terreur brune et l’ordre nouveau… Les moyens de fortune actuels nuisent à l’esprit symbolique et à nos travaux. Mais bientôt, dans un nouveau Temple, nous pourrons travailler à nouveau. » Une indemnisation a été péniblement obtenue de la cour d’appel de Lyon pour la destruction du Temple de la rue Billerey. Le Frère Gayot propose la création d’une commission pour la construction d’un nouveau Temple. Cette commission s’associera à celle déjà créée par Les Arts Réunis. Une contribution supplémentaire est demandée aux Frères de quatre Ateliers regroupés au sein de l’association La Persévérance qui, depuis plusieurs dizaines d’années, gère les temples grenoblois successifs.

Ce grand projet semble rapprocher les Loges de l’Orient. La tenue du 14 juin 1953 regroupe exceptionnellement L’Alliance Ecossaise et ses invités : Les Arts Réunis, Triple Union et Amitié, et Amitié et Progrès à l’Orient de St-Marcellin. L’occasion pour le Frère Magnat, Orateur, de rappeler « l’idéal que doit avoir tout Franc-Maçon et ses qualités indispensables : amour du prochain, solidarité, altruisme, tolérance. » Au nom des Frères visiteurs, le Frère Matray regrettera l’ostracisme dont le Grand Orient est victime dans le monde Maçonnique. « Aussi est-il heureux de voir sur les colonnes des membres de la Grande Loge de France… Les Maçons du Grand Orient et de la Grande Loge doivent s’unir et rien ne peut les diviser… » Sous l’impulsion de WOD, président de La Persévérance, les murs s’élèvent donc.

Le nouveau Temple est officiellement inauguré le 4 avril 1954. Ce jour là, les petits plats sont mis dans les grands : les Grands Maîtres du Grand Orient et de la Grande Loge sont là, accompagnés de leurs conseillers de l’Ordre et autres conseillers fédéraux, délégués du Grand collège des rites ou délégués du Suprême conseil. Notre Grand Maître Francis Viaud a bien failli ne pas se déplacer, vexé de n’avoir pas été consulté sur la date de l’inauguration alors que le Grand Maître de la Grande Loge l’avait été. Il y assistera toutefois « en raison de l’intérêt des Loges grenobloise du Grand Orient ». A 10 heures, les clefs symbolique du Temple sont remises par La Persévérance aux Vénérables Maîtres des Loges de Grenoble. A 10H30 une t solennelle d’inauguration au 1er grade a lieu. A 12H un apéritif d’honneur est offert. A 13H un banquet-tenue blanche se tient à l’Hôtel Lesdiguières. Nos archives ne gardent aucune trace des morceaux d’architecture effectués. Les travaux de mastication sont par contre détaillés : terrine de volaille à la gelée, timbale à la russe, feuilleté à la toulousaine, baron d’agneau à la broche, petits pois fins paysanne, choix de fromage, glace vanille, petits fours et corbeille de fruits de saison…

L’Alliance Ecossaise reste une Loge aux sensibilités multiples mais plus tournée vers la vie de la cité que vers le symbolisme pur. Ecoutons le Frère Secrétaire, Alexandre Boissieu, directeur d’école publique, futur Vénérable : « L’Atelier a étudié les questions portées à l’étude des Loges et a étendu son champs d’investigation à plusieurs questions philosophiques telles que : la genèse des formes vivantes, les problèmes relatifs à l’Algérie, les origines de la Franc-Maçonnerie, une étude sur Marcel Proust, un exposé sur la prostitution, une étude sur le Docteur Jivago de Boris Pasternak, un exposé sur la recherche scientifique et l’augmentation de la production agricole et un exposé sur l’économie distributive. Ces morceaux d’architecture constituent un ensemble de travaux qu’il convient de compléter par les impressions d’initiation des Frères apprentis et par les morceaux d’architecture du Frère Orateur. Notre Atelier a donc fourni un travail assez important dans l’édifice Maçonnique de l’année, mais comme rien n’est jamais terminé, il lui reste encore beaucoup à faire. La défense laïque, en particulier, retiendra l’attention de tous les Frères la prochaine année. »

Années 60

Les années 1960 auront beaucoup fait parler. De cette époque on ne voudrait garder que la crème ; mais ces années-là furent aussi tragiques. Ce fut une décennie de violence… L’Asie d’Hô Chi Minh et de Mao, les ghettos noirs des Etats-Unis, l’Amérique latine de Castro et de Che Guevara, l’Afrique de Lumumba ouvrirent les voies nouvelles de la révolution, au mépris des gauches endormies de l’Occident et des socialismes bureaucratiques de l’Est. Ce fut aussi la décennie de Vatican II et celle de la fin de la guerre d’Algérie. Ce fut bien sûr la décennie d’un printemps 68, en France et à Prague, et celle de l’invasion de la Tchécoslovaquie…

Pour la franc-maçonnerie, les années 60 commencent dans les remous causés par la rupture entre Grande Loge de France et Grand Orient. Le Grand Architecte de l’Univers peut-il être « une entité éminemment réelle, Dieu en tant que créateur de toutes choses et en tant que principe organisateur de l’univers ? » Le Livre Sacré sur lequel les Francs-Maçons prêtent serment peut-il avoir « une sainteté reconnue et admise par tous ». Non, affirme le Grand Orient. Oui, soutient la Grande Loge de France.

À Grenoble, les deux obédiences se côtoient quotidiennement. Les Vénérables Maîtres font preuve de plus de sagesse que leur hiérarchie. « En 1940, déclarent-ils, les lois d’exception n’ont pas fait de distinction entre les deux obédiences maçonniques. Le Temple a été détruit, reconstruit ensuite pour servir la maçonnerie sans distinction, et cela est certainement une bonne chose que les francs-maçons travaillent à Grenoble dans les mêmes locaux ». Quoique les relations interobédentielles soient suspendues, le Collège de Vénérables Maitres est d’accord pour que des réunions communes aux quatre Ateliers aient lieu chaque trimestre. Elles auront un caractère strictement inter-loges, et les obédiences ne seront pas représentées. La fête solsticiale des quatre loges réunies est organisée par L’Alliance Ecossaise qui reçoit à cette occasion le Grand Maître du Grand Orient. Les Frères de la Grande Loge participeront, mais leur obédience n’enverra pas de représentant officiel.

1961… La Grand Maître de la Grande Loge Féminine de France contacte le Collège des Vénérables Maîtres de Grenoble : « À la suite de votre bienveillant accueil et de la conférence donnée à Grenoble, des demandes nous parviennent dans le but d’une création de loge, souchée à la Grande Loge Féminine de France. Cinq ou sept sœurs qualifiées, de Paris, encadreront pour un temps déterminé ce jeune rameau de manière à ce que l’esprit de notre ordre soit transmis, respecté et réalisé. Des sœurs habitant Genève, la Drôme et l’Isère rallieront l’Orient de Grenoble. Devant ces heureuses perspectives qui doivent contribuer à l’émancipation de la femme dans le sens de notre idéal, je vous demande de nous aider à réaliser ces élans de bonne volonté en épaulant spirituellement de vos sages conseils nos jeunes néophytes, et en louant à la GLFDF votre adorable petit Temple destiné peut-être à rallier ce qui est momentanément épars. »

Le Collège des Vénérables donne un avis mitigé : « Nous devons aider par tous les moyens les femmes à s’organiser. Mais de nombreux Frères estiment qu’il ne serait pas opportun à l’heure actuelle, étant donnée la conjoncture, de mettre nos locaux à la disposition des loges féminines ou mixtes. Nous constatons donc que les avis sont partagés, et que nous ne pouvons admettre les femmes chez nous que dans une harmonie parfaite. La décision est donc ajournée. Cependant tous les Frères acceptent d’aider les femmes à trouver un local possible, à Grenoble, pour assurer leur réunions. »

Ruptures

1968… L’Alliance Ecossaise prépare son centenaire. Alexandre Boissieu est alors Orateur : « La Franc-Maçonnerie dauphinoise a toujours été intimement liée aux luttes politiques et laïques de cette région. Nous pouvons faire des comparaisons avec les difficultés éprouvées. Mais, malgré les scissions ou les difficultés devant les forces d’oppression, les Maçons dans le passé ont su rester unis, comme ils doivent le faire demain. »

Le 22 mars, alors que Nanterre et occupé, l’Atelier planche sur une Question à l’étude des Loges : l’Europe Maçonnique. La tenue suivante, autre Question à l’Etude : les personnes âgées. La tenue suivante, dernière Question : Liberté et pouvoir… L’Orateur ce jour-là conclut : « Sommes-nous capables de liberté ? Adoptons-nous librement quelque chose sans mise en condition d’aucune sorte ? » Quelques jours plus tard, des milliers d’étudiants apporteront leur propre réponse…

À la tenue du 29 mai, « par suite des événements, aucune correspondance n’est parvenue à l’Atelier. » L’Atelier suit l’exemple des Arts Réunis et vote pour qu’une médaille de 100 briques soit remise au comité de grève à la mairie. Le Frère Commérot indique que le Conseil de l’Ordre du Grand Orient a apporté son soutien au mouvement étudiant. Le Frère Boissieu indique : « Nous n’avons pas le droit d’être indifférents ou passifs face aux événements actuels et il serait souhaitable qu’une tenue inter-Loges permette d’examiner, de mesurer et de dégager une ligne de conduite. » Le Frère Guérini, qui tient ce jour là le Premier Maillet, propose, vu l’ordre du jour peu chargé, de commencer à évoquer cette question et fait un bref résumé de ce qui s’est passé. Les Frères évoquent alors la situation à St-Priest, Lyon et Mulhouse, en Savoie, à la faculté de Grenoble et au CENG, dans la métallurgie et dans les grosses entreprises grenobloises… Le Frère Boissieu rappelle que les Francs-Maçons sont partisans de la souveraineté appartenant au peuple. Nous payons, dit-il, les erreurs de 1958 et l’oubli de la séparation des pouvoirs. Le Frère Pinet redoute la dévaluation. Il rappelle qu’il est profondément républicain et s’insurge contre le fait que le mouvement ait été lancé par un étudiant étranger. Le Frère Ghiles lui répond que (le père fondateur des principes de la franc-maçonnerie), Anderson, aussi était étranger !…

Ainsi furent vécus ce qu’on a appelé les “événements” de mai 68. Ils laissèrent leur marque, à L’Alliance comme ailleurs, et furent pendant bien des tenues à venir un sujet de réflexion récurrent.

1969… Le centenaire de notre loge fut célébré le 18 mai lors d’une tenue commune avec Les Arts Réunis, Les Apprentis Eternels, L’Avenir, Triple Union et Amitié et Amitié et Progrès. La planche du Frère Félix Ferrand et la plaquette commémorative sont encore disponibles aujourd’hui.

Joachim Delgado

1971… Au premier maillet, un instituteur en remplace un autre : Jean Martin succède à Alexandre Boissieu. Au début de son troisième mandat, ce 10 octobre 1973, Jean Martin a beaucoup de mal à former son Collège des Officiers. Bien que le nombre des nouveaux Frères entrant au Collège ait été porté de six à treize, le Frère Ramus proteste et retire sa candidature : “ Notre Loge est une émanation des hauts grades. Elle manque de fraternité. Une orientation nouvelle doit lui être donnée… ” Notre Frère conclut en demandant le renouvellement intégral de tous les titulaires. Six Frères retirent leurs candidatures. Le Frère Ramus propose une liste où tous les titulaires sont remplacés. Le Vénérable tente en vain de reporter les élections à la tenue suivante, puis propose, toujours en vain, de s’en tenir à l’élection des deux Surveillants. Des élections poste par poste sont finalement décidées. Après l’élection des deux Surveillants, vue l’heure tardive, le Vénérable demande à l’Orateur ses conclusions sur la fermeture immédiate des travaux. Les colonnes grondent, protestent. Considérant que l’ordre est troublé et son autorité méconnue, le Vénérable Maître lève alors la séance sans formalité.

Les élections se feront à la tenue suivante sous la présidence du Très Illustre Frère Larmet, Inspecteur. Mais le conflit de génération est trop engagé. La scission est inévitable. Le 9 janvier 1974, l’Atelier enregistre quatorze démissions. Les Frères démissionnaires formeront bientôt la Respectable Loge Joachim Delgado.

À la rentrée suivante, MVS prend le premier Maillet. L’Atelier retrouve sa sérénité.

« Je m’appelle MVS. Je suis franc-maçon à L’Alliance Écossaise.

J’ai reçu la médaille de 50 ans de maçonnerie le 29 mars 2002. C’est une date qui compte dans la vie d’un maçon. Initié à l’Alliance Ecossaise, j’y suis resté fidèle jusqu’à mon passage à l’Orient éternel. J’ai vécu les périodes tourmentées de la scission entre Frères : la création de la loge Joachim Delgado qui provoqua des cicatrices importantes au sein de la loge et dans le cœur des Frères. Prendre la succession du Vénérable Maître Martin après de tels événements ne fut pas facile. Ce premier maillet, je l’ai tenu le plus fermement possible avec toute la sagesse dont j’étais capable. Mon caractère discret, fut un atout dans la gestion de cette crise, je n’ai jamais aimé me mettre en avant ; j’étais plus un homme d’écoute. Pourtant, malgré ma timidité naturelle, j’ai assumé des missions importantes au sein de notre Orient, de notre région maçonnique et au sein même de notre obédience.

Des tenues de notre vieille loge je n’en ai pas sauté beaucoup, jusqu’à ce que l’âge, la fatigue et la maladie me prive du plaisir de regarder ces jeunes Frères s’agiter à refaire le monde. Vénérable Maître d’honneur depuis 1983, ma place était à l’Orient, toujours du même côté, toujours dans le même fauteuil. À l’écoute, je le fus, certes, mais sans hésiter à intervenir dès que j’étais sollicité, avec beaucoup de tact et de délicatesse, tout en étant capable de fermeté dans mes interventions. J’ai suivi et accompagné le chemin initiatique de nombreux Frères de ma loge et de l’Orient. Je me suis efforcé d’être le Maître qui guidait au mieux. J’ai toujours agis avec sagesse et amour. J’ai accompli ma mission avec discrétion en m’excusant sans cesse d’intervenir, mais en n’hésitant pas à m’investir dès que le devoir le commandait. En regardant ma vie d’où je suis aujourd’hui, s’il fallait l’illustrer d’une phrase, je citerais Timothée : « J’ai mené le bon combat, j’ai accompli ma mission, j’ai poursuivi ma route, j’ai gardé ma foi »

Sisyphe

Nous approchons de la fin de notre voyage au sein de L’Alliance Ecossaise.

L’histoire plus récente de L’Alliance Ecossaise appartient à nombre de Frères de l’Orient. Elle n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, mais n’en est-il pas ainsi pour toute association, toute loge ? Au milieu des années 1990, une douzaine de Frères de L’Alliance fondent la respectable loge Sisyphe, qui plus tard se joindra à L’Acacia Delphinal, elle-même fille de Joachim Delgado.

Aujourd’hui

Au fil des ans, parmi les plus de neuf cents initiés que nous sommes ou avons été, nous avons évoqué des Frères connus et d’autres moins connus. Certains Frères survivent encore dans les rues, les places et les avenues qui ont pris leurs noms et qui soulignent ainsi la notoriété de leur rayonnement humaniste. Ils forment la trame urbaine de notre cité. Ils en composent aussi la trame sociale et politique.

Nos archives ne retiennent d’autres Frères qu’une ligne sur le Registre matricule de la Loge, spécifiant nom, dates des initiations ou affiliation, lieu et date de naissance, profession et lieu de résidence, cause de cessation d’activité : Carlo Moriondi, né à Rome ; Boris Weiss, né à Varsovie ; Emile Daffot-Djipro, né à Gnegroubove en Côte d’Ivoire ; Charles Tritten, né à Genève ; Sadek El Ghiziri, né à Alexandrie ; Etienne Pissoukidi-Bitellay, né à Madzaka au Congo ; ou Paul Boulgakoff, né à Omsk, en Russie… « Démissionnaire… Admis à l’honorariat… Rayé pour cause de non paiement de capitation… En congé… Parti pour le Tonkin… Démissionnaire forcé pour indélicatesse… Sans nouvelle depuis 1940… N’a pas repris l’activité en 1945… Disparu dans la nuit des temps… Décédé… Décédé… Décédé… ”

Une ligne, bien peu, pour résumer une vie profane et maçonnique… Et pourtant ils étaient nos Frères, solides maillons de L’Alliance Ecossaise, et ils nous sont chers autant que ceux dont l’histoire a retenu le nom. Ainsi va la vie. Hommes et femmes naissent. Leur existence poursuit son cours. A leur tour ils tiennent le flambeau de la vie transmis par leurs ancêtres. La raison guide les uns, la passion domine les autres. Chacun laisse son empreinte. Et quand leurs dépouilles retournent à la terre, le flambeau est repris par d’autres. Tous œuvrent dans le même dessein et donnent un sens à la mort comme ils donnent un sens à la vie. Rien ne meurt… Tout se prolonge… Espérons…

Au XXIe siècle L’Alliance Écossaise poursuit son chemin. Elle compte aujourd’hui une soixantaine de Frères. Elle est toujours « une loge dans la cité », aux sensibilités, aux aspirations et aux engagements divers. Le don aux archives de l’Isère des documents concernant la persécution des francs-maçons sous Vichy et l’organisation de manifestations sur le campus universitaire de Grenoble à l’occasion du centenaire de la loi de 1905 ont été des occasions de témoigner plus ouvertement auprès du grand public. L’Alliance se veut aussi active dans l’Orient, avec pour seule ambition la construction du centre de l’Union pour que nos sept obédiences et nos vingt-trois loges masculines, féminines et mixtes vivent et travaillent en toute fraternité.