Symbolisme

L’œil

Je suis l’œil… Une petite sphère de deux centimètres et demi de diamètre, quatre malheureux centimètres cubes et pourtant une merveille de technologie, un récepteur responsable des quatre-vingt-dix pour cent des informations qui parviennent à mon cerveau.

Je fonctionne comme un appareil de photo. À l’avant, le matériel optique et les objectifs, avec la cornée et le cristallin. À l’arrière, la pellicule sensible, avec la rétine et ses photorécepteurs — des cônes et des bâtonnets par millions. Ils captent la lumière, la décodent et la transforment en signaux électriques qu’ils transmettent par des milliards de connexions. Entre les deux, la chambre noire, avec le vitré, un gel transparent qui maintient le volume de l’ensemble.

J’ai beau être une merveille de technologie, je reste modeste : je ne fais que regarder. En fait, c’est mon cerveau qui voit, qui décode les messages, qui reconnaît une forme ou un mouvement, qui corrige les défauts de l’objectif ou de la pellicule.

Vide

Je suis l’œil et je suis d’autant plus modeste que malgré mes millions de récepteurs et mes milliards de connexions, mes pauvres performances sont limités au monde dit visible « à l’œil nu. » L’étendue de mon regard ? Je la mesure en simples mètres. Le monde du mètre est à portée de mon bras. C’est la taille de la plupart des choses vivantes ou inanimées qui forment mon cercle de vie privilégié. Au delà, cent mille mètres — la centaine de kilomètres —, j’atteins déjà mes limites supérieures. Il a fallu que je monte sur une montagne pour voir aussi loin… Déjà le monde est flou, déformé par l’atmosphère. Plus loin, la lune et les étoiles ne sont guère que les pâles reflets de leurs réalités. En deçà, au millième de mètre — le millimètre —, je vois encore la trame de mon mouchoir. Mais je ne verrai jamais la structure des fils qui la compose au dix millièmes de mètre — la centaine de microns —, ma limite inférieure.

Heureusement j’ai derrière moi un cerveau qui ne fait pas que voir. Il est inventif et a su imaginer, pour pallier mes imperfections et décupler mes pouvoirs, d’ingénieux outils. Il a mis à ma disposition télescopes et microscopes, sondes et fusées. J’ai pu explorer l’infiniment grand… J’ai découvert une planète bleue, ma Terre. Plus loin, j’ai pu compter les milliers d’anneaux de Saturne. Encore plus loin, j’ai observé les bras d’une galaxie s’enroulant en spirale. À la limite — un milliard d’année lumière —, je me suis perdu dans le vide sidéral où les galaxies lointaines ne sont que des grains de poussière dont l’éclat me parvient avec peine. J’ai pu explorer l’infiniment petit…J’ai observé la double hélice de la chaîne d’ADN s’enroulant en spirale. Plus près, j’ai dansé avec les électrons. Encore plus près, je me suis perdu dans le vide atomique qui sépare les électrons du noyau autour duquel ils tournent. À la limite — un fermi — je me suis plongé dans la soupe des quarks et des leptons, des particules et des antiparticules.Je n’ai pu aller plus loin, et j’ai retrouvé dans le magma primordial, instable et éphémère de l’infiniment petit, le reflet de l’uniformité supposée de l’univers dans les premières secondes de son existence.

Je suis l’œil… J’ai ainsi scruté les profondeurs du cosmos et il est devenu de moins en moins compréhensible. J’ai tourné mon regard dans la direction inverse et pénétré dans mon corps, mais au bout de mon chemin, je n’ai trouvé que de nouveaux mystères.Dans mon voyage vers l’infiniment grand comme vers l’infiniment petit, je me suis retrouvé longtemps dans le vide. Vide sidéral, vide atomique… Et ce vide était infiniment plein. Car le vide n’a rien à voir avec le néant. Car il y a des milliards de fois plus d’énergie dans le vide que dans toute la matière de l’univers connu, et cet univers est occupé par une infinité de mondes parallèles qui s’ignorent, et j’ai du renoncer à l’illusion tenace qu’il n’existait qu’une seule réalité. Essayer de comprendre ? Pour moi c’est impossible. Démesuré. Mais je m’émerveille de la grandeur infinie, si bien finie, de chaque poussière de poussière. Et je m’émerveille de l’ingéniosité de chaque détail : ma main, mon oreille, le monde organisé de chacune de mes cellules, les tourbillons vides de l’atome, le vide infranchissable du bois de ce bureau. Vide, tout est vide. Et ce vide est si méticuleusement et si grandiosement ordonné, qu’il emplit et construit et anime le vivant et la pierre. La pierre est vivante, la pierre grouille et tourbillonne, la pierre est vide, je suis vide, je contiens l’univers, je suis un univers de miracles. Bonheur de me savoir vivant et de savoir autour de moi l’univers en marche.

Mondes

Je suis l’œil et malgré mes imperfections j’ai voulu reproduire le monde. Pour le reproduire, je me suis associé à un autre instrument, plus basique : le compas. Le compas a mesuré… J’ai transmis… Mon cerveau a interprété… Ma main a tracé… Ai-je eu « le compas dans l’œil ? » Ai-je su reproduire le monde qui m’entourait ? Je ne saurai dire… J’ai regardé alors l’image d’une figure humaine sur une tombe égyptienne. J’ai regardé un visage peint par Picasso. J’ai regardé le portrait robot d’un homme qu’on recherchait. Qui du maître sculpteur égyptien, du génial peintre moderne ou de l’officier de police judiciaire avait le mieux le compas dans l’œil ? Je ne saurai répondre… Car le visage d’un homme a autant de face qu’il y a de regards différents pour le voir. Car l’image que j’ai du monde n’est qu’un reflet très partiel de ce qu’est le monde. Car l’image que j’ai du monde n’est que le reflet de la conception que j’ai de ce monde, n’est que le reflet de la conception que la société dans laquelle je vis en a. Et même si j’ai le compas dans l’œil, je ne fais qu’interpréter, que traduire le rapport que j’ai avec le monde.

J’ai recherché dans un monument grec, un tableau médiéval, une gravure moderne, le sens du monde.

Au Parthénon d’Athènes, je n’ai vu aucune colonne verticale. L’architecte Ictinos, deux siècles avant Euclide, a fixé dans la pierre le postulat géométrique que deux droites parallèles ne se rencontrent jamais. Il a alors incliné de quelques centimètres vers l’intérieur toutes les colonnes, donnant au monument une silhouette pyramidale… La convergence des colonnes donne la direction de l’infini. En se resserrant progressivement, les colonnes restreignent l’espace jusqu’à ce qu’il atteigne la limite de l’infiniment petit, le mieux à même de représenter l’infiniment grand. Le temple atteint ainsi une image surhumaine, à la mesure des dieux.

Au musée du Prado de Madrid, je me suis arrêté devant La création du monde de Jérôme Bosch. J’y ai vu une sphère, modèle parfait de la pensée cosmogonique. Au milieu de la sphère, sur un plan plat et circulaire, la terre. Sur la voûte, au-dessus, le ciel et les nuées. En dessous, les profondeurs sombres et sans relief. Dans ce tableau, pas de colonnes, mais des peupliers dont la forme s’incurve comme si elle était observée dans un miroir bombé… La sphère est comme l’œuf : elle est à la fois le creuset de la matière, la source de vie et le modèle aboutit, la création achevée. Elle construit un espace total, universel, autour duquel tout n’est que néant, hors Dieu.

À Amsterdam, une gravure d’Escher m’a retourné le cœur. En dépit du bon sens, j’ai vu la pièce ordinaire d’une maison ordinaire ayant subi un retournement total selon une géométrie analogue à celle qui transforme un grain de maïs en pop corn. L’enveloppe de la pièce s’est repliée au centre, tandis que l’intérieur s’est déployé au dehors. Une colonne qui supporte le plafond a pris alors la forme d’une anse de panier… L’infini est à l’étroit, le centre expulsé dans toutes les directions. Le mathématicien d’aujourd’hui parlera d’une inversion de l’espace, l’astrophysicien d’antimonde, le philosophe de modèle d’un espace qui se dévore lui-même jusqu’à engloutir son créateur.

Espace infini, bombé ou inversé, j’ai bien du mal à mettre le monde en perspective, ou même simplement à croire en ce que je vois. Cet escalier en boucle qui n’arrête pas de grimper — encore une gravure d’Escher — est une impossibilité pourtant représentée. Cette pipe est-elle une pipe ? Non, « Ceci n’est pas une pipe », écrit Magritte, seulement du bois, de la toile, de l’huile, du pigment. Et ce divan que Dali a créé, n’est-il pas aussi une partie du « Visage de Mae West utilisé comme appartement ? »

Je suis l’œil… Et puisque derrière chaque image se cache le choix d’une certaine vision du monde, j’ai voulu parcourir la planète et confronter l’image que j’en avais à la réalité. J’ai laissé derrière moi les pressions familiales et sociales. Je me suis retrouvé seul face à moi-même. J’ai arpenté de nombreux chemins et j’ai vécu avec délectation, œil grand ouvert, cette marche en avant dans des territoires inconnus. Le monde était beaucoup plus complexe que je le croyais. Au-delà de la réalité que je connaissais, il en existait beaucoup d’autres, prêtes à se laisser découvrir si j’étais assez disponible pour me laisser envahir par elles… La réalité du pécheur laotien dont l’univers est cette île minuscule au milieu du Mékong. La réalité du paysan balinais rentrant en transe, le soir venu, lors d’une cérémonie traditionnelle. La réalité de l’Indien guatémaltèque qui traverse la route juste devant mon véhicule pour que les démons qui le suivent de trop près se fassent écraser. La réalité de l’aborigène australien qui refuse de domestiquer les plantes ou les animaux, refuse d’exploiter le sol ou le sous-sol, refuse de construire une maison ou de s’habiller, car se serait désacraliser la Terre, se domestiquer, s’exploiter soi-même. La réalité des enfants abandonnés des banlieues colombiennes, celle des cadavres ambulants de Calcutta. La réalité universelle de la misère, de la crasse et de la mort. À chaque pas, un monde nouveau… Mes dernières certitudes se sont envolées… J’ai regagné mon pays…

À chaque pas de cette odyssée, j’ai promené l’œil de ma caméra. Et cet œil voyeur s’est révélé être une barrière, un filtre. Eux devant, moi derrière, à jamais émerveillé, à jamais mal à l’aise, à jamais frustré, incapable de pénétrer véritablement l’intimité des gens et des choses. Des centaines de films, des milliers de photos, reproductions parfaites du monde, ne sont que les témoins à jamais figés de la distance incompressible entre l’image et la réalité.

Perfection

Je suis l’œil, et je ne suis sûr ni de ce que je vois, ni de ce qu’est le monde. Alors je me suis regardé dans un miroir. J’ai vu le modèle et son ombre à l’épreuve de l’éternelle solitude… Et puis, j’ai vu se superposer en éclairs stroboscopiques tous mes visages : celui du poupon à fossettes, celui de l’adulte barbu, comme celui du vieillard décrépit. J’ai vu aussi la figure de mon père et celle de ma fille. Et dans la succession de ces portraits, j’ai vu la grandeur et l’inanité de ma vie, à la fois unique, indispensable, et pourtant si vaine et éphémère. J’ai vu un monde en perpétuelle mutation où les générations se suivent et ne se ressemblent guère. Et cependant, j’ai vu en elles la continuité de l’espèce, la transmission du savoir et de la sagesse humaine. Je me suis regardé dans un miroir et au-delà du temps et de l’espace, au-delà du ciel et de la terre, j’ai vu le magma de toutes les vies présentes, passées et à venir, la conscience collective de tout ce qui a vécu et de tout ce qui vivra, s’incarner — le temps d’une étincelle — dans mon âme. Et plus j’ai eu conscience de l’éternité de cette étincelle, plus j’ai eu besoin d’ancrer profondément, ici et maintenant, mes pieds sur cette terre.

Je suis l’œil et j’ai réalisé que j’étais à moitié aveugle. Je vis à l’intérieur d’une ville et pour moi, la nuit, les seules lumières sont celles des télévisions, des néons et des panneaux publicitaires. La voûte étoilée ? Je ne la vois pas. Et pourtant, malgré le halo aveuglant de la ville, la nuit et les étoiles sont là. Je l’oublie parfois, mais c’est un fait : la nuit et les étoiles sont là. L’histoire de ma vie est celle du conflit entre la ville et les étoiles. Je suis physiquement et mentalement l’habitant de ce monde que j’ai construit, sur mesure, à ma petite dimension. Mais, au fond de moi, j’ai toujours su qu’au-delà des limites de mon territoire, le cosmos immense était là, l’inconnu, effrayant et attirant à la fois. Toujours j’ai voulu dépasser les limites, affronter le secret, prendre contact, ne serait ce qu’épisodiquement, avec les autres mondes.

Alors je me suis à nouveau perdu dans les profondeurs d’un tableau. J’y ai trouvé, dans l’expression de la Beauté, la manifestation de l’Infini qui se trouve dans chaque paysage et dans l’âme de celui qui tient le pinceau. Mais ce tableau n’était que le symbole d’une plus grande Réalité, pas la Réalité elle-même. Il me fallait aller plus loin.

Je suis devenu l’œil du chaman celui du saint et du mystique, celui du médium, de l’ermite, du contemplatif, du visionnaire, du yogi… L’œil du voyageur de l’autre monde. L’œil d’Alice, qui passe de l’autre côté du miroir. L’œil de l’homme qui franchit les portes de sa perception ordinaire pour découvrir, au-delà, d’autres réalités. À vrai dire, je me suis contenté d’ouvrir très grand mes yeux et d’accepter ce qu’ils voyaient. J’ai connu l’extase. Le temps s’est arrêté. Le monde est devenu incroyablement vivant et animé. J’ai escaladé des falaises calcaires fondantes et me suis assis sur leur cime dentelée, entouré d’orgues de roches d’argent et d’herbe verte électrique. La montagne et les plantes palpitaient et vibraient. Les sons sillonnaient l’air. Je me suis perdu dans les cœurs des fleurs et j’ai distingué chaque feuille de chaque arbre, à perte de vue. J’ai chevauché la crête au rythme de sa respiration jusqu’à ce que le soleil décline et que la lumière se fasse d’or. Quand, à l’horizon, le soleil s’est enfoncé et qu’à l’autre bout du ciel la lune a montré son nez, un court instant, j’ai trôné en équilibre parfait, plein soleil à gauche, pleine lune à droite, face à l’immensité du paysage. Et j’ai connu la perfection de l’univers et le sentiment profond que j’y étais très exactement à ma place.

Lumière

Je suis l’œil et j’ai cherché la lumière. La lumière… Cette fulgurance blanche qui m’a ébloui quand ma mère m’a donné la vie et que je suis sorti, sanglant, d’entre ses cuisses. Cette fulgurance blanche qui m’accueillera au bout du long tunnel de ma mort. Cette fulgurance blanche qui, entre naissance et mort, m’a été donnée un soir de lourde chaleur par des hommes que j’ai appelé mes Frères.

La lumière m’a été donné et je me souviens d’avoir regardé avec curiosité les décors et les symboles qui m’entouraient. Je regardai à l’Orient… J’y découvris un œil. Était-ce l’œil de Dieu, l’œil de la connaissance ou celui de la raison ? L’œil de MA conscience ou celui de LA conscience ? L’œil qui voit tout, même dans ma tombe, même une fourmi noire sur une pierre noire dans la nuit noire ? L’œil de la providence ? L’œil attentif, vigilant, protecteur ? Ou l’œil culpabilisant, vengeur, implacable ? L’œil sacré des Sumériens, l’œil suprême des Boschimans, l’œil Grand Esprit des Indiens d’Amérique ? L’œil de l’œil ? ! L’œil est rayon, l’œil est flèche, l’œil est soleil, l’œil est flamme, l’œil est feu, l’œil est eau, l’œil est source, l’œil est couleurs, l’œil est nombre, l’œil est sagesse !

Je regardai à l’Orient. Symboles et rituels étaient ce qui me semblait être le plus lointain de mes préoccupations. Pour cette seule raison, je décidai d’y jeter un œil, et plus… J’ai fait de l’étude des symboles et du rituel mon pain quotidien. Ils m’ont aidé à regarder le monde autrement qu’à travers le filtre des concepts, ces concepts qui souvent déforment les faits pour les faire rentrer dans des petites boîtes explicatives. J’ai trouvé dans ce dépassement, dans ce rayonnement, la force des symboles. J’ai trouvé dans leur toute puissance et leur universalisme supposés, seulement supposés, leur faiblesse.

Un Frère m’a dit : la Loge est l’œil du monde. J’ai bien aimé cette expression. Oui, l’œil du monde, mais un monde comme vu par l’œil d’une mouche : un kaléidoscope d’images juxtaposées, toutes différentes les unes des autres, qui forment pourtant un tableau global commun. Ainsi chaque Frère n’a qu’une vue partielle, tellement partielle du monde. Et pourtant chaque regard est indispensable pour obtenir cette vision globale dont chacun de nous s’enrichit. À chaque Frère son point de vue. À la loge la vision harmonisée, dans le respect de chacun.

La lumière m’a été donnée et j’ai lu mon catéchisme du parfait franc-maçon. J’y ai découvert plusieurs maçonnerie : la maçonnerie opérative, celle des compagnons du devoir : l’action ; la maçonnerie spéculative, celle de la symbolique des instruments de travail : la morale ; la maçonnerie hermétique, celle de la symbolique de l’alchimie : la spiritualité ; la maçonnerie occulte, ou mystique, ou magique, celle des phénomènes innommables : l’inaccessible, l’inconnaissable, le divin.

J’ai refermé mon catéchisme. Quelle maçonnerie vivre ? Quelle maçonnerie partager avec mes Frères ? Je ne peux avoir de réponse que pour moi… Mais je dois rester aussi éloigné de la croyance sans preuve que de la négation à priori… Je ne dois méconnaître aucune voie…

Je suis l’œil et je me suis dit que je ne devais jamais oublier… Savoir opposer aux raisonnements, aux concepts, au symbolisme systématique, la vision, la perception directe des mondes extérieurs et intérieurs. Savoir opposer à l’effort actif, à la tension de la pensée, à la conquête de soi-même et de la nature, l’observation, le détachement, la méditation. Ne pas se contenter de travailler. Savoir lâcher prise. Savoir rester disponible. Savoir garder les yeux ouverts !

Compréhension

Je suis l’œil, un bien modeste instrument de mesure mais pourtant l’interface indispensable entre l’homme et le monde. J’ai scruté les profondeurs du cosmos et de mon corps : j’y ai trouvé le vide et le miracle de la vie. J’ai voulu interpréter le monde : je n’ai même pas réussi à le mettre en perspective. J’ai sillonné la planète : je l’ai trouvé infiniment mystérieuse, infiniment complexe, et comment croire un seul instant que les schémas de la société dans laquelle je suis né puissent la définir en son tout ? Je me suis regardé dans le miroir : ma solitude a été effacée par les générations successives qui s’y sont reflétées ; devant l’éternité, j’ai planté mes deux pieds dans le sol. J’ai voulu voir la voûte étoilée : aveuglé, je me suis éloigné des lumières de la ville ; j’ai franchi les portes de la perception ; j’ai franchi les portes du temple…

J’en suis revenu plus tout à fait le même. Plus sage, mais moins prétentieusement sûr. Plus heureux, mais moins satisfait de moi. Plus humble en reconnaissant mon ignorance, et pourtant mieux équipé pour comprendre les rapports entre les mots et les choses, entre le raisonnement systématique et le mystère insondable dont j’essaye, à jamais et en vain, d’avoir la compréhension.

Bibliographie

Les travaux maçonniques sont certes personnels. Ils ne s’inspirent pas moins parfois du travail de ceux, francs-maçons ou non, qui nous ont précédé. Merci donc à Philip et Phylis Morrison pour nous avoir entraîné dans Les puissances de 10 (Bellin – Pour la science) vers l’infiniment grand et l’infiniment petit ; à René Barjavel pour avoir décrit avec tant de bonheur le miracle du vide et de la vie; à Philippe Comar qui a mis pour nous La perspective en jeu (Découvertes Gallimard n° 138); et surtout à Aldous Huxley et à son humanisme si ouvert, pour nous avoir guidé à travers Les portes de la perception (Édition du Rocher ou 10-18). Les dernières phrases de ce travail sont les siennes.